Historique du programme électro-nucléaire français

Beaucoup a été dit et écrit à propos des glorieux épisodes de la recherche scientifique qui ont marqué le début de notre siècle, la découverte des différentes particules et de leurs propriétés, notamment celle du neutron en 1932, et la mise en évidence de la radioactivité artificielle en 1935.

C’est moins de dix ans après la découverte du neutron par James Chadwick, moins d’un an après l’explication de la fission par Otto Hahn qu’une petite équipe composée de Frédéric Joliot-Curie, Hans von Haban et Lew Kowarski, dépose des brevets (à l'exemple du brevet relatif aux pompes primaires) décrivant de façon étonnamment précise, ce que vont être les installations propres à extraire l’énergie de la fission de l’atome.

La réaction en chaîne est née, au moins sur le papier, en 1939.

Seconde caractéristique, même si les Français y jouent un rôle essentiel, l’aventure est internationale. Comme le prouvent les noms des grands savants que nous venons de citer, ceux-ci venaient pratiquement de tous les pays d’Europe. Passant brusquement du laboratoire à l’industrie, une formidable aventure internationale commence, qui suscite de grandes espérances dans un monde où certains en sont encore à découvrir les promesses de l’électricité.

Hélas, quelques mois plus tard, la deuxième guerre mondiale oblige à penser à autre chose. Et si la recherche des quarante premières années du siècle avait été essentiellement européenne, ce sont les Etats-Unis d’Amérique qui vont prendre le relais.

Cette autre chose, c’est la bombe atomique.

Or il se trouve qu’une des voies pour y parvenir, c’est de construire un réacteur, qui permette, par transmutation de l’uranium, de produire une des deux matières premières permettant la confection d’une bombe, le plutonium. Et c’est ainsi que le premier réacteur nucléaire fut construit, non pas pour produire de l’électricité, comme l’imaginaient les brevets de 1939, mais pour en extraire un sous-produit à des fins militaires.

La première véritable réaction en chaîne est déclenchée à Chicago en décembre 1942. Reconnaissons le, cet effort, soutenu par des moyens considérables en laboratoires, en experts de toutes disciplines, le fameux projet Manhattan, fut une contribution très importante à l’acquisition des connaissances de base nécessaires à l’énergie nucléaire civile.

Aussi bien, les cadeaux que les «militaires » étaient voués à faire aux « civils » n’étaient pas terminés.

Passant de la guerre chaude à la guerre froide, les stratèges réalisent ce que l’atome peut leur apporter en termes de transport : grâce à l’énorme concentration d’énergie contenue dans l’uranium, un sous-marin nucléaire peut naviguer sans mouiller pendant de nombreux mois. 

Des programmes sont lancés, où, encore une fois, les Etats-Unis tiennent la tête. Très vite, pour des raisons techniques qu’il serait trop long d’exposer ici, mais qui ont été rapportées maintes fois, ils convergent sur un certain type de réacteur, utilisant de l’uranium enrichi et l’eau sous pression comme refroidisseur et véhicule de l’énergie.

Le Général de Gaulle, dans sa volonté de construire l'autonomie de la France face aux Etats Unis, créé par ordonnance le Commissariat à l'Energie Atomique (CEA) le 18 octobre 1945 avec pour objectif de développer les capacités nucléaires du pays dans le domaine militaire et civil.

La France qui avait été, en 1936, le premier pays au monde à avoir un ministère de la Recherche scientifique, allait ainsi, grâce au Général, être la première à fonder un organisme civil pour présider au développement de l'ensemble du domaine révolutionnaire des applications de la fission du noyau de l'atome d'uranium. 

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, 1 450 entreprises françaises privées coexistent et assurent la production, le transport, et la distribution d’électricité et de gaz. Le 8 avril 1946, la nationalisation des entreprises de l’électricité et du gaz est votée avec la création d’Electricité de France (EDF) et de Gaz de France (GDF). Tous les producteurs et distributeurs d'électricité français vont devoir s'unir pour ne former qu'une seule et même entreprise nationale : EDF.

En parallèle, le réseau de transport d’électricité est reconstruit. On crée de nouvelles lignes, en ville comme dans les campagnes, pour que tous les habitants puissent accéder à l’énergie et profiter d’une puissance suffisante pour l’éclairage et le branchement de petits appareils électroménagers.

La croissance de la consommation d’électricité, dans les années d’après-guerre, pousse le gouvernement à engager des grands travaux pour construire des infrastructures de production et de transport de grande capacité.

Dès 1947, EDF met ainsi en œuvre plus de 40 projets d’aménagements, tels que le barrage de Serre-Ponçon, le barrage de Tignes, alors le plus important d’Europe, ou encore l’usine marémotrice de la Rance.

A l’époque, la production d’électricité est soit d’origine hydraulique, soit d’origine thermique. Si la production hydraulique présente des avantages car elle est peu onéreuse et ne pollue pas, le nombre de sites pouvant accueillir des barrages est limité. Conséquence : les centrales thermiques fonctionnant au charbon, au fioul et au gaz deviennent indispensables et commencent à prendre le relais de l’hydraulique.

Depuis les années 1960, EDF conseille et accompagne les Français pour expliquer les meilleurs usages de l’électricité dans un environnement domestique qui se modernise.


En 1963, EDF lance sa première véritable campagne commerciale sous le signe du « compteur bleu». D’autres suivront, à l’exemple de celle consacrée en 1971 au lancement du chauffage électrique.

En 1973, à la veille du choc pétrolier, le fioul est la première source d'énergie électrique et permet de couvrir près de la moitié des besoins en France. Suite au choc pétrolier et à la hausse des prix du pétrole, L'Etat se tourne vers l'électricité nucléaire.

EDF annonce dès 1974 la construction de 13 centrales nucléaires en deux ans. Ce programme de grande envergure participe à l’indépendance énergétique de la France. Pour des raisons économiques, EDF opte pour la filière des réacteurs à eau pressurisée (REP) et à uranium enrichi. Si l’énergie nucléaire est moins chère et ne produit pas de CO2, c’est un investissement coûteux du fait des efforts à réaliser en matière de sûreté et de la gestion des déchets à vie longue.


Cette figure montre les différentes phases de construction du parc nucléaire français de production d'électricité, tel que nous le connaissons actuellement, exception faite de l'EPR.

Constitution du parc nucléaire francais

Le parc nucléaire français, principalement développé dans les années 1970/1980, est composé de 19 centrales nucléaires, lesquelles regroupent un total de 58 réacteurs, dont 34 produisent chacun une puissance électrique de 900 MégaWatt (MWe), 20 réacteurs de 1300 MWe, et 4 derniers délivrant 1450 MWe chacun.



Un 59ème réacteur, de type EPR (Evolutionary Pressurised water Reactor, réacteur évolutionnaire de 3ième génération) développant une puissance électrique de l’ordre de 1650 MWe, est actuellement en construction sur le site de Flamanville, dans la Manche. .

Les réacteurs actuellement en fonctionnement en France appartiennent tous à la filière des Réacteurs à Eau Pressurisée (REP/PWR) dans laquelle de l’eau sous pression sert à transporter la chaleur produite par les réactions nucléaires.

Actuellement, le parc de production nucléaire d'électricité dispose d’une capacité électrique installée de 63,1 GW et fournit près de 80% de l’électricité produite en France.

12 réacteurs ne sont plus en fonctionnement. Ils appartiennent à d’autres filières que les REP. Parmi eux :


Pour le parc actuellement en fonctionnement, la standardisation s’est organisée en paliers successifs. Ces paliers respectent les mêmes principes et la même architecture industrielle mais tiennent compte des leçons tirées de l’exploitation et optimisent la puissance des réacteurs.

C’est ainsi que les 58 tranches sont classés en 5 « paliers » de conception :



34 réacteurs de près de 900 MWe :


Palier CP0 : 6 réacteurs (4 au Bugey et 2 à Fessenheim). Ce sont les plus anciens réacteurs en service ;


Palier CPY : 28 réacteurs (Blayais, Dampierre-en-Burly, Gravelines, Tricastin, Chinon, Cruas-Meysse et Saint-Laurent-des-Eaux).


Le palier CPY se distingue du palier CP0 par des améliorations mineures de divers circuits, ainsi que par un pilotage d’exploitation plus souple.


20 réacteurs de près de 1300 MWe :


Palier P4 : 8 réacteurs (Flamanville, Paluel et Saint-Alban) ;


Palier P’4 : 12 réacteurs (Belleville, Cattenom, Golfech, Nogent-sur-Seine et Penly).


Les paliers P4 et P’4 se distinguent du palier CPY par la puissance du réacteur, accompagné d’un circuit primaire à 4 générateurs de vapeur. De plus, leur enceinte de confinement est composée d’une double paroi en béton, au lieu d’une seule doublée d’une peau d’étanchéité en acier pour le palier CPY.


4 réacteurs de près de 1450 MWe :

Palier N4 : 2 réacteurs à Chooz et 2 à Civaux, dont le dernier a été raccordé au réseau électrique fin 1999. Ce sont les réacteurs les plus récents.

Le palier N4 se différencie des paliers précédents par la conception de ses générateurs de vapeur et des pompes primaires, ainsi que par l’utilisation de technologie numérique pour le pilotage des réacteurs.

Voici une vue du calendrier de construction du parc électronucléaire français par palier de conception :



Cette standardisation du parc électronucléaire a permis à l'exploitant EDF ainsi qu’à l’Autorité de Sûreté (ASN) d’accumuler une solide expérience du fonctionnement des réacteurs à eau sous pression. En France, les 19 centrales nucléaires totalisent en effet 1300 ans de fonctionnement. Mais cette situation présente aussi un inconvénient. Si un défaut de conception fondamental apparaît sur l’une des installations, les autres peuvent être potentiellement concernées.

La constitution de ce parc, fait de la France le pays dont le nombre de réacteur par million d'habitants est le plus élevé d'europe comme le montre la carte suivante :


Ce qui classe la France au second rang du nombre de réacteurs (58) par pays après les Etats-Unis (104) et avant le Japon (50). Au 9 mai 2012, la puissance électrique installée du parc nucléaire mondial s’élève à plus de 370 GW. Près de 56% de cette capacité se répartit entre Etats-Unis, France et Japon.

Précisions autours des centrales et réacteurs

Il est courant que le terme de « centrale » nucléaire soit employé à tort au lieu de « réacteur » nucléaire. Cette confusion peut aboutir à des ordres de grandeur biaisés comme ce fut le cas par exemple avec les médias en 2011 à l'occasion de l'accident de Fukushima.

Une centrale nucléaire désigne l’ensemble d’un site nucléaire produisant de l’électricité à partir de la fission de noyaux atomiques. Elle se compose d’un ou de plusieurs réacteurs, organisés en tranches nucléaires.

Chaque tranche est constituée :
  • d’une partie « nucléaire » comprenant un réacteur nucléaire, enceinte au sein de laquelle une réaction de fission en chaîne est initiée afin de libérer de la chaleur et de générer de la vapeur ;
  • d’une partie « industrielle » au sein de laquelle la vapeur obtenue dans la partie "nucléaire" actionne une turbine couplée à un alternateur, générant ainsi de l’électricité ;
  • de bâtiments annexes (salle de commandes, bâtiment dédié au stockage du combustible, etc.).
Une centrale nucléaire inclut généralement, pour des raisons économiques liées à la construction et à l'exploitation, 2 à 4 réacteurs, exception faite du site de Gravelines qui dispose de 6 tranches nucléaires. Ormis pour le site de Flamanville qui accueille l'EPR, et pour les sites sur lesquels étaient implantés la filière UNGG, la technologie et la puissance de chaque tranche nucléaire présente est la même que sa voisine.

Nucléaire : La politique du mensonge ? - Spécial Investigation du lundi 4 mai à 22h50

Le documentaire diffusé sur Canal+, tout comme la presse écrite, présente des erreurs.

D'abord, et dès la première minute, quand 2 accidents majeurs sont cités. Celui du 17/10/1969 et celui du 13/03/1980. Ces événements sont classés, pour le second du moins (nous verrons plus loin pour le premier), au niveau 4 de l'échelle INES. Ce niveau correspond à un accident, l'accident majeur étant le niveau 7 de l'échelle INES, comme le montre le schéma à la dixième minute du documentaire.

A la 10ième minute ensuite, ou l'on parle du classement au niveau 4 de l'accident de 1969. L'IRSN faisait apparaître cet accident dans une de leur représentation de l'échelle INES. Après échange avec l'IRSN, il s'avère en définitif que l'événement de 1969 sur la première unité UNGG n'est pas classé par les Autorités de Sûreté Nucléaire.

Vers la 16ième minute du documentaire, le rapport confidentiel évoque des rejets de radioéléments émetteur alpha. Contrairement à ce que le journaliste prétend, le plutonium n'est pas seul émetteur alpha. EDF à émis une plaquette explicative sur le risque alpha. Le rejet de plutonium dans la Loire, évoqué avant la 17ième minute à été identifié lors d'une étude faite en 1980 par l'Institut de biogéochimie marine de l'Ecole Normale Supérieure de Montrouge (Hauts-de-Seine) sur les problèmes de polluants dans les sédiments, menée sur la Loire fluviale, de Saint-Laurent-des-Eaux jusqu'à l'estuaire. Cet article du blog en fait le détail.

Passons sur les problématiques de déchets, stockage, fuites ou relâchements, recyclage, etc. qui ne sont pas d'un premier attrait sur ce blog.

Ce qui nous emmène aux alentours de la 45ième minute du documentaire ou le journaliste avance le défaut d'entretien du parc nucléaire. Comment annoncer cela au regard de la réglementation et de la législation toujours plus pointues et profondes dont la filière nucléaire doit s'acquitter, et toujours sous l’œil vigilent de l'ASN? Nous avons, nous la France, une réglementation et une législation qui évoluent dans le temps, grâce notamment au retour d'expérience au niveau mondial, alors même que d'autres pays poursuivent l'exploitation de réacteurs bien plus âgés et dont la réglementation et la législation restent elles basée sur ... la conception de l'époque! sic

Mais de façon générale, à bien y regarder au cours du documentaire, je m'étonne de voir que les prélèvements, qui sont faits par des organismes voulant démontrer la présence et la nocivité de radioéléments induits dans le milieu naturel par l'exploitation de la filière nucléaire, soient faits sans mesures particulières de protection. Pas de gants, Pas de sur-bottes... Certainement parce que les mesures démontrent justement que les taux en présence ne nécessitent pas à se protéger.

Illusions abandonnées en conclusion d'un documentaire de 52min. exclusivement à charge...

Face aux diverses réactions, l'IRSN publie une note d'information sur les accidents ayant affecté les réacteurs UNGG de St Laurent-des-Eaux en 1969 et 1980.

Enfin, on apprend en juillet 2015 que, suite à la diffusion du reportage le 4 mai 2015, l'association l'Observatoire du nucléaire porte plainte contre l'exploitant EDF et Marcel Boiteux.

Quant aux interrogations de l'article d’Arrêts sur image, je me permets juste de dire que les rejets étaient connus, et si j'ai pu en parler dans l'article "Histoire de rejets" c'est que l'information était disponible. 

"Les mensonges du nucléaire français" Article du Monde du 04/05/2015

Je vous laisse le soin de découvrir le contenu de cet article.
Désinformation! Un papier somme toute mal ficelé, rédigé avant la diffusion sur C+, qui me semble jeter une fois de plus du discrédit à la filière.

Je m'en explique.
Premièrement, la photo qui figure sur l'article du Monde au travers des réseaux sociaux (lien) n'est pas celle de St Laurent facilement reconnaissable à la forme particulière de ses aéroréfrigérants, mais une vue du Site du Tricastin avec, au second plan, l'usine d'enrichissement ; même pas une centrale nucléaire comme présentée.



Ensuite, parce que sur le site de St Laurent, il y a deux technologies, 2 réacteurs REP (au premier plan, près des aéroréfrigérants) en exploitation et 2 anciens UNGG (au second plan, sur la droite) à l'arrêt définitif et en cours de démantèlement. Ce sont ces derniers qui ont connus des "désagréments". Il faut le préciser, c'est important. Mais là rien! Tout diffère : les technologies, la conduite des installations, la réglementation, etc.
Enfin, les accidents de 1969 et 1980 sont connus, celui de 1980 est répertorié au niveau 4 de l'échelle INES. Le premier accident figurait au même niveau de la même échelle, mais suite à un échange avec l'IRSN, l'échelle INES à été mise à jour, ne laissant trace que du second accident de 1980. Quant à la présence de plutonium, elle fut révélée au cours d'une étude sur la Loire faite en 1980 par l'Institut de biogéochimie marine de l'Ecole Normale Supérieure de Montrouge (Hauts-de-Seine) sur les problèmes de polluants dans les sédiments, menée sur la Loire fluviale, de Saint-Laurent-des-Eaux jusqu'à l'estuaire.


Gageons que le journaliste s’investira la prochaine fois à investiguer plus avant avant toute diffusion sur un sujet sensible qu'est le nucléaire.

Face aux diverses réactions, l'IRSN publie une note d'information sur les accidents ayant affecté les réacteurs UNGG de St Laurent-des-Eaux en 1969 et 1980.